C-9 Français vs Anglais
Différences d’interprétation entre les versions française et anglaise du projet de loi C-9
État du texte au 15 décembre 2025
Le régime législatif canadien repose sur le principe de l’égalité juridique des versions française et anglaise des lois fédérales. En théorie, les deux versions expriment une intention législative commune. En pratique, toutefois, des écarts de formulation peuvent produire des différences d’interprétation non négligeables, particulièrement en droit pénal où la précision du langage est essentielle. Le projet de loi C-9 illustre clairement ce phénomène.
La définition de la haine constitue un premier point de divergence significatif. Dans la version anglaise, le terme « vilification » renvoie généralement à une forme active et grave de dégradation morale d’un groupe, impliquant une représentation comme fondamentalement méprisable ou indigne. La version française utilise le terme « dénigrement », dont la portée est sémantiquement plus large et peut englober des propos négatifs moins extrêmes. Cette différence a pour effet d’abaisser le seuil d’incrimination en français par rapport à l’anglais, ce qui pourrait mener à des applications asymétriques selon la langue d’interprétation privilégiée par le tribunal.
Une divergence comparable apparaît dans la notion de « but légitime » en français, traduisant l’expression anglaise « legitimate purpose ». En common law, cette dernière s’inscrit dans une tradition juridique précise, associée à des critères de raisonnabilité et de légalité. En français, l’expression « but légitime » peut être perçue comme portant une connotation plus morale ou sociale, susceptible d’introduire une appréciation plus normative de la légitimité des intentions invoquées par un accusé. Cette nuance pourrait rendre certaines défenses plus difficiles à faire valoir dans un contexte francophone.
L’écart entre les termes « display » en anglais et « exposition » en français est, quant à lui, susceptible de jouer en sens inverse. Le verbe anglais « to display » englobe une large gamme de situations, incluant le port passif ou l’arboration non intentionnelle d’un symbole. Le terme français « exposition » suggère davantage une action volontaire et consciente de mise en évidence. Cette différence pourrait, dans certains cas, offrir une protection légèrement plus grande aux accusés lorsque l’interprétation repose sur la version française.
En revanche, la formulation française « susceptible d’être confondu » apparaît plus large que l’expression anglaise « so nearly resembles as to be confused ». Là où l’anglais semble exiger une probabilité réelle de confusion, le français admet une simple possibilité. Cette nuance élargit le champ potentiel de l’infraction en français et accroît l’incertitude entourant l’évaluation des symboles litigieux.
Des différences analogues se retrouvent dans les dispositions relatives à la confiscation de biens. L’expression anglaise « in relation to » renvoie à un lien fonctionnel ou juridique, tandis que la formulation française « en liaison avec » peut être interprétée comme couvrant des liens plus indirects, matériels ou conceptuels. Cette divergence renforce le caractère extensif des pouvoirs de confiscation dans la version française.
Dans l’ensemble, la version anglaise du projet de loi C-9 se caractérise par une rédaction plus technique et plus étroitement ancrée dans les traditions de la common law pénale, tandis que la version française adopte une formulation plus large, parfois plus morale dans son registre, et plus ouverte à une interprétation extensive. Dans un système où les deux versions ont valeur égale, ces écarts constituent un problème juridique réel, car ils introduisent une instabilité interprétative susceptible d’affecter tant la prévisibilité du droit que l’égalité devant la loi.
Fin du document – analyse interprétative bilingue